Coopérer, traduire, négocier : les traces coloniales dans nos échanges
- zoghbisara8
- il y a 1 jour
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Le colonialisme n’est pas qu’une affaire de dates et de manuels scolaires. C’est un héritage qui habite encore les corps, les langues, les institutions, parfois de manière visible, parfois en silence. On aime souvent le présenter comme un passé révolu, mais il s’invite dans les conversations, dans les salles de réunion, dans les universités, jusque dans nos manières de nous regarder et de nous juger.
La langue en est l’exemple le plus clair. L’anglais, le français, l’espagnol ou le portugais ne sont pas seulement les marques d’un passé de domination : ils sont aussi devenus des instruments pratiques pour échanger, travailler, construire des projets communs. Dans une organisation internationale, dans une conférence ou dans une entreprise, disposer d’une langue partagée permet d’éviter les malentendus et d’avancer plus vite. Mais cette efficacité a un prix. Ceux qui maîtrisent la langue avec aisance occupent plus facilement l’espace, prennent la parole avec assurance, sont perçus comme crédibles. Ceux qui hésitent, qui traduisent mentalement, qui cherchent leurs mots, se retrouvent fragilisés. Ce déséquilibre n’est pas anodin : il rappelle que la langue de l’ancien centre continue d’imposer ses critères de légitimité.
Et pourtant, il serait trop simple de dire que ce rapport est le même partout. Les expériences coloniales ne se ressemblent pas : elles varient selon les territoires, les cultures, les trajectoires historiques. Elles se rejouent aussi dans les rencontres d’aujourd’hui, où chaque contexte porte sa mémoire et ses blessures. Le résultat, c’est une infinité de configurations possibles : une négociation entre collègues, une collaboration scientifique, une discussion amicale peuvent tour à tour activer la méfiance, créer un malentendu, ou au contraire ouvrir des solidarités inattendues.
Dans le monde académique, par exemple, publier dans une grande revue anglophone est presque une condition de reconnaissance, même si cela oblige à reformuler des réalités locales dans des cadres étrangers. Dans le secteur du développement, un projet pensé à Bruxelles ou Paris risque d’être perçu comme une nouvelle ingérence, tandis que sur le terrain, les acteurs locaux traduisent leurs priorités dans un langage qui correspond aux attentes des bailleurs. Dans le quotidien des relations interpersonnelles aussi, l’héritage colonial se devine : dans l’accent qui provoque un sourire, dans une remarque sur la « bonne » manière de s’exprimer, dans le silence d’une voix qui n’ose pas.
Le colonialisme n’est donc pas seulement une mémoire douloureuse, ni seulement une langue partagée qui simplifie les échanges. C’est un mélange contradictoire : un outil qui rapproche et une hiérarchie qui sépare, une blessure qui divise et une ressource critique qui permet de nommer l’injustice. Comprendre cette ambivalence, c’est accepter que les relations contemporaines, professionnelles, culturelles ou personnelles se construisent toujours à travers ce prisme, qu’on le veuille ou non.
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