Dire “je” dans un monde pluriel
- zoghbisara8
- 6 nov.
- 3 min de lecture
Parler de soi n’est jamais un acte neutre. Selon le contexte culturel, la même phrase peut exprimer de la confiance ou paraître arrogante, de l’humilité ou de l’effacement. Derrière les mots se cachent des visions différentes du rapport à l’individu, au collectif et à la réussite. Dire « je » n’a pas le même poids à Montréal, à Dakar, à Tokyo ou à Beyrouth. Pourtant, dans un monde où la mobilité et la diversité façonnent nos relations, savoir se présenter, raconter son parcours ou simplement exprimer ce que l’on ressent devient une compétence essentielle.
Dans plusieurs cultures nord-américaines, parler de soi est une manière de se positionner. Lors d’un entretien d’embauche ou d’une rencontre professionnelle, il est attendu que l’on sache décrire ses compétences, ses réalisations et ses ambitions. Le discours sur soi y est considéré comme une forme de transparence : montrer ce que l’on a accompli prouve qu’on est capable d’agir. Au contraire, dans des sociétés comme le Japon, le Sénégal, le Liban ou l’Inde, la modestie est valorisée. On préfère laisser ses actions parler plutôt que de se mettre en avant. L’identité s’exprime à travers le collectif : on se définit par ce qu’on apporte à un groupe, une équipe, une famille. Dans ces contextes, une parole trop affirmée peut sembler déplacée, voire irrespectueuse.
Ailleurs encore, comme au Mexique, au Brésil ou en Colombie, la présentation de soi se joue davantage sur le registre de la convivialité. L’important n’est pas tant de démontrer ses compétences que de créer un lien de confiance. Parler de soi, ici, c’est avant tout parler à l’autre : il faut inspirer sympathie et sincérité avant d’inspirer admiration. En Europe, les équilibres sont plus subtils. En France, on attend de la mesure : on se dit, mais avec une certaine retenue. En Allemagne, on mettra l’accent sur la cohérence du parcours ; en Espagne ou en Italie, sur la chaleur et la présence ; en Suisse, sur la précision et la fiabilité.
Dans la vie personnelle, ces différences se traduisent aussi. Certaines cultures encouragent les enfants à dire très tôt ce qu’ils ressentent ou pensent : c’est une manière de développer la confiance et l’autonomie. Ailleurs, on apprend à se taire par respect pour les aînés ou pour préserver l’harmonie familiale. Parler de soi trop ouvertement peut être perçu comme une forme d’indiscrétion, voire de déséquilibre. Dans certains foyers marocains ou turcs, exprimer sa fierté ou évoquer ses succès reste délicat, de peur d’attirer le « mauvais œil ». Au Canada, en revanche, un certain dévoilement de soi est vu comme une marque d’authenticité : on aime entendre des parcours personnels, des récits de transformation.
Cette pluralité se retrouve aussi dans les milieux professionnels liés à l’éducation, à la médiation ou à la création. Un enseignant en France, un formateur au Québec ou un interprète au Liban n’useront pas de la même manière du récit de soi. Dans certains environnements, raconter une expérience personnelle aide à instaurer la confiance ; dans d’autres, cela risque d’affaiblir la distance professionnelle. La parole sur soi devient alors un outil, à manier avec précaution : elle peut rapprocher ou éloigner, inspirer ou déstabiliser.
Savoir parler de soi, finalement, c’est apprendre à lire les attentes des autres. C’est comprendre que chaque culture propose une manière particulière d’exister dans la parole. Cela ne demande pas de se transformer, mais d’écouter : quand parler, jusqu’où se dévoiler, à quel ton accorder sa voix. Dans les échanges interculturels, cette écoute vaut autant que les mots eux-mêmes. Elle permet de trouver ce point d’équilibre fragile où la confiance ne devient pas vanité et où la pudeur ne vire pas à l’effacement.
Parler de soi, c’est donc plus qu’un exercice de communication. C’est une manière de se situer dans le monde : affirmer une identité tout en respectant celle de l’autre, se dire sans se perdre. Et c’est peut-être là, dans cette tension discrète entre la retenue et l’affirmation, que naît la véritable compétence interculturelle.

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